Le coup de la panne.

Irina avait décidé de faire un saut à son appartement avant de partir pour le QG du Clan de l'Ombre. Elle avait le temps. Elle était en avance. Elle était toujours en avance. C'est le propre du tueur à gages, à vrai dire: ne jamais être en retard, ne jamais faire un faux pas. Être là au bon moment et s'attendre à toutes les merdes qui peuvent encombrer le chemin (et faire attention à ne pas mettre le pied dedans, bien sûr).
La jeune femme sortit de son appartement après y avoir accompli son rituel matinal: arroser les plantes, manger à sa faim et faire un peu d'exercice. Elle ferma à clé derrière elle, prête à partir. Elle s'enfonça dans le siège de sa voiture. Son appartement était quand même assez loin du lieu de rendez-vous et elle n'avait pas le courage de marcher.
Problème: la voiture ne démarra pas. Foutue bagnole.
Irina sortit du véhicule et ouvrit le capot, cherchant la source du problème. Bon, elle devait avouer qu'elle n'avait pas investi beaucoup dans la voiture; Elle avait préféré le luxe d'un appartement avec vue sur la ville, bien trop grand pour une jeune femme célibataire et presque jamais chez elle.
Elle resta ainsi quelques minutes, à trifouiller dans le moteur, espérant ne pas faire pire que mieux.

Une présence se fit sentir derrière elle. Elle se figea avant qu'il ne lui propose son aide. Elle se retourne. Elle a de la graisse sur le joue et sur les mains. Sans y penser, elle les essuie sur son jean.
« Ce serait pas mal, ouais. »
Avant même qu'elle n'ait répondu, l'inconnu s'attelle à la tâche. Il règle le problème en quelques instants, comme si c'était la chose la plus simple du monde. Irina n'a même pas le temps d'observer ses gestes pour pouvoir les reproduire plus tard.
« Mer... ci. », dit-elle. Elle n'a pas vraiment l'habitude de dépendre des autres.
Elle jette un coup d'oeil à son chien, qui est plus calme qu'un chaton. Son regard se reporte sur le maître. Il a le sourire arrogant d'un séducteur. Elle n'aime pas ça.
« Vous êtes garagiste ou quelque chose comme ça ? » demande-t-elle.

Le jeune homme enleva quelque chose de sa joue à l'aide d'un mouchoir - de la graisse, sans doute. Il était drôlement intimiste, pour un étranger. Il dût sentir qu'elle aurait apprécié connaître plus de ce type avant qu'il ne lui tripote la joue, et se présenta.
« Irina. » répondit-elle tout simplement, lui tendant sa main. « Merci pour la voiture. C'est sympa. »
La jeune femme n'était pas ce qu'on pouvait qualifier d'une professionnelle du remerciement. Elle s'était débrouillée toute seule pendant ces dernières années et avait religieusement suivi le diction "on est jamais mieux servi que par soi-même". De fait, elle ne s'était jamais vraiment habituée à ce qu'on l'aide. Devait-elle l'inviter à prendre un café ? Non, il prendrait cela comme une invitation à la séduire. Et puis, elle n'avait pas vraiment le temps pour une pause café avant son rendez-vous. Elle se contenta de lui sourire bêtement.

Elle monte dans la voiture, prête à partir. Après un coup de pouce, ou plutôt un coup de bras de Tadamune, le véhicule daigne démarrer. Le moteur vrombit, à son plus grand bonheur. Elle met donc sa ceinture et voyant le jeune homme revenir à son niveau, elle baisse la vitre pour le laisser prendre la parole.
« Ca devrait aller. Enfin, je devrais peut-être changer de pantalon. Dîtes-moi, qu'est-ce que vous pensez du style jean plein de graisse ? C'es une bonne idée, pour un premier jour au boulot ? » lui demanda-t-elle.
Irina n'osa pas compléter la phrase en lui précisant son boulot. Après tout, elle n'allait pas déballer à un inconnu qu'elle était une tueuse à gages et que son nouvel employeur était le Clan de l'Ombre. C'eût été ridicule de se faire griller avant même le début de ce CDI.

C'est vrai qu'à la réflexion, elle devrait peut-être se changer. Irina sort du véhicule et jette un nouveau coup d'oeil à son malheureux jean. Elle ne le jettera pas, même si la graisse ne part pas complètement au lavage. Et puis, ça donne un certain style à l'ensemble.
Le jeune homme lui demande dans quoi elle travaille. Elle réfléchit, en un quart de seconde, à sa réponse.
«Un magazine masculin. »
Elle ne sait pas ce qui lui a pris de dire ça. Mais si elle lui avait sorti qu'elle était avocate, il aurait difficilement cru qu'elle se pointerait au boulot sans un tailleur bien coupé.
« Je suis chroniqueuse. » se permet-elle de préciser. « Pas assistante. » ajoute-t-elle avec un sourire ironique.

La jeune femme sourit.
« Non. Du lifestyle. De la lecture légère qui booste l'ego du mec lambda. »
Vraiment, de la mode ? Elle avait la tête d'une fille qui bossait dans la mode ?
« Mais il y a bien une rubrique... Enfin une colonne dédiée à la mode. Que je n'écris pas. Je suis plutôt du type reportages et interviews. »
Le mensonge lui venait assez facilement. Elle en avait fait une de ses spécialités en tant que tueuse à gages. Pas la plus évidente pour elle, certes. Mais elle avait toujours su trouvé  un mensonge pour se sortir d'une situation gênante. Quoique, la situation d'aujourd'hui n'était pas forcément gênante ni liée à son job. Apparemment, elle n'était pas si crédible que ça en journaliste, puisque Yuji suggérait autre chose.
« Quoi, par exemple ? » demanda Irina en mettant les mains dans ses poches.

« Je t'assure, ça peut être... salissant. »
Yuji la regardait dans le blanc des yeux. Elle dut lever la tête pour croiser son regard, tant il était grand. Il changea abruptement de sujet.
« Oui, c'est vrai. Je vais faire un saut à l'appartement. »
Irina avait complètement oublié son problème vestimentaire. Elle se demanda un instant si elle devait l'inviter. Non, bien sûr que non. Elle serait revenue dans une minute, de toute façon. Elle fit signe au jeune homme que ça ne lui prendrait que très peu de temps et se rendit dans l'immeuble, se jeta presque dans l'ascenseur et arriva à son étage. Elle enleva son pantalon et en trouva un autre sur une chaise. Elle s'entortilla dedans et redescendit immédiatement, sans jeter un oeil à la vue qu'offrait la baie vitrée.

Irina revient directement auprès de sa nouvelle rencontre, et s'adosse à sa voiture.
« Eh oui ! Je n'aime pas faire attendre les gens... »
Le jeune homme quisemblait tout à l'heure douter de son mensonge semble maintenant y croire complètement. Il sourit bêtement. Sourire qu'elle lui rend non seulement par politesse, mais aussi parce qu'elle ne peut s'empêcher de sourire en voyant son air. Il semble même avoir oublié la raison de leur rencontre puisqu'il lui suggère de marcher, alors qu'ils sont juste à côté de sa voiture.
Elle ne peut pas accepter, malheureusement. Elle fait mine de regarder sa montre et de s'inquiéter devant l'heure. Elle ne peut pas marcher jusqu'au QG avec cet inconnu dont elle ne connait rien. Mais elle sait comment se sortir de ce faux pas.
Irina relève la tête.
« Je suis désolée » dit-elle en se mordant la lèvre pour ajouter à son excuse. « Je vais manquer de temps. Mais tu sais quoi ? Je vais te donner mon numéro et si tu y tiens vraiment, on pourra aller boire un café ou... Ce que tu veux. »
Clin d'oeil suggestif. En plus, ses cheveux flottaient dans le vent, et pour une fois ils ne venaient pas gêner son regard, qu'elle planta directement dans les yeux du jeune homme. Il allait craquer, elle en était sûre, et n'hésiterait pas à l'appeler ce soir. Sa dernière phrase, c'était le genre à rendre fou les hommes. Finalement, elle aurait fait une bonne journaliste. Et puis, au final, cet inconnu lui semblait plus sympathique maintenant qu'au premier abord. Après tout, il l'avait aidée. Et un café ne lui ferait aucun mal.
« Tu n'as qu'à me passer ton portable, j'inscrirai le numéro. J'ai pas de papier sur moi. »