Pardonne-moi

Tenant avec force son poignet droit, la chef coinça son bandage entre ses lèvres le temps d'en faire le tour pour le soigner. Une fois cette protection de fortune achevée, elle agita ses membres afin d'assurer que rien ne bougera à l'avenir. Tout resta en place.

Chaque fois qu'elle se trouvait n'avoir pas d'autre choix que de devoir s'occuper de ses bandes par ses propres moyens, elle doutait que ceux-ci tiennent toute la journée.

Elle soupira, contente de ne pas avoir à recommencer. Encore maintenant, elle parvenait à se blesser en s'entraînant. C'était très rare, certes, mais le risque était toujours là. De même pour les blessures de combat.

Pour cette fois, il s'agissait d'un foulement de poignet dont les sacs de sa salle d'entraînement n'étaient pas la cause.

Encore une fois, on ne le prenait pas au sérieux. Parce qu'elle était une fille. Par chance elle n'avait pas volé son titre, ainsi elle n'avait aucun soucis à se faire quand on s'attaquait à elle avec lâcheté dans son dos. Le soucis n'était pas là. Ce qui la chagrinait était ce qu'elle devait faire pour ne pas ternir son nom. Frapper, mettre à terre... Peut-être même que le sang qui couvraient ses mains était bien plus abondant que celui qui avait recouvert celles des autres chefs parce que eux, étaient considérés avec valeur. Qui aurait bien cherché des noises à des mâles d'une aussi grande influence.

Désirant se reposer convenablement; elle se dirigea sans trop regarder autour d'elle vers son bureau. Elle fonça contre une demoiselle avant de l'éviter de justesse.

« Hop ! Vous allez bi- Oh, ça va Su ? Je m'attendais pas à te croiser ici. »

Étonnée de voir la jeune fille aussi fébrile, ou disons plutôt non accoutumée à sa méfiance constante envers son environnement, elle haussa un sourcil. Encore un peu et elle en serait venue à penser qu'elle venait tout juste de tomber nez à nez avec un ennemi. D'un revers de sa main bandée elle mit la question qui lui avait été posée de coté. Elle ne désirait pas discuter de cela de toute façon.

« Tu m'as l'air pâle. »

Tout son corps semblait sous tension tandis que sa voix ne répondait plus à une seule et même note continue. Céleste s'approcha d'elle puis posa ses mains sur ses épaules avec fermeté mais douceur.

« Calme-toi. On va aller dans un coin plus tranquille. »

Les bras tenus avec fermeté contre sa poitrine, elle la regarda sans ciller. Elle écouta ce que la frêle recrue avait à lui dire sans l'interrompre. Aucune seconde ses yeux ne se posèrent sur les liasses d'argent qui se trouvaient sous son visage. Peut-être que la pièce dans laquelle elle se trouvait, soit un entrepôt qui servait autrefois de lieu de travail à des hauts gradés, n'était pas le lieu adéquat pour discuter de cela. D'autant plus que la lumière froide semblait donner une mine bien plus pâle et imperturbable à la chef des Loups qu'à l'accoutumée.

Calmement, elle fit signe à Su de ranger ce qu'elle tenait du regard. Elle se posa dos à la porte.

« Dis-moi cela fait combien de temps. »

La phrase fut ponctuée d'un balancement de la tête presque maternel, dénué de la moindre once d'hostilité ou de colère.

Un silence s'installa. Hormis le bruit de l'ampoule en fin de vie, pas un son ne vint troubler la fin des confessions de Su'. Pas même Céleste. Elle ferma les yeux.

« Qu'importe si vous êtes un marginal, une ex-prostituée ou si vous sortez de désintoxication. Si vous acceptez de faire preuve de courage et de vous battre pour vos idéaux, le clan vous ouvrira ses bras. »

Elle se tût. Ces phrases étaient celles destinées aux nouveaux venus, et Su' n'y avait probablement pas échappé. Bien au delà d'un sermon symbolique, il s'agissait d'une promesse d'une vie meilleure destinée à ceux qui désiraient s'extirper de leur malheur.

La chef se demanda à quel moment la frêle se tenant devant-elle avait elle oublié ces mots.

« Pourquoi avoir choisi notre clan plutôt qu'un autre ? » demanda-elle d'une voix lisse, en ouvrant ses paupières, prête à rallumer la faible flamme qui brûlait encore en Su'.

Voir cette frêle demoiselle dans un tel état lui pinça le coeur tandis que le visage de la chef n'exprima pas ce qu'elle pouvait bien ressentir en cet instant, comme de l'envie de la rassurer. Elle s'approcha de Su avec douceur, puis elle glissa ses doigts sur son menton pour relever son visage.

« Exact, les loups sont des animaux loyaux et qui vivent ensemble. Nous n'avons pas cette notion de délaissement de l'autre dans notre sang. »

Céleste se tut alors que ses lèvres se dessinèrent dans un sourire réconfortant.

« Notre vie est une constante lutte contre notre passé. » commença-elle à voix basse « Tous, nous n'avons pas d'autre choix que de prendre les armes pour ne pas sombrer dans la douleur de notre vécu. Tu peux ne pas me croire si tu le souhaites, mais j'ai croiser dans ces couloirs des gens dans un état plus misérable encore que celui dans lequel tu es en ce moment. Ces mêmes personnes qui, alors que nous parlons, resplendissent de lumière. Ils n'ont rien de plus que toi, et pourtant aujourd'hui ils vont mieux. Parce qu'ils ont compris qu'ils pouvaient avoir foi, que la protection qui leur est apportée n'est pas due aux murs qui les entourent mais au courage de leurs camarades qui vivent avec eux au sein de ces mêmes constructions, qui transpirent vers eux, un force dont tu as le droit toi aussi de bénéficier. Tu as le droit d'utiliser la force que notre meute t'apporte pour lutter contre ton passé. Parce que je l'ai fait, parce que nous l'avons tous fait. »

Elle prit Su' dans ses bras.

« Ne pleure pas » murmura Céleste à son oreille « C'est tout ce que je te demande. »

Cela faisait bien longtemps que la louve n'avait pas été touchée à ce point par une recrue. Elle secoua ses cheveux en riant doucement, non sans scintiller des yeux. La voilà, la relève. Et elle ferait tout pour la guider jusqu'à la sortie de ce tunnel de peine.

Le sourire de Su retrouvé, la chef se laissa écouter cette foi son estomac réclamant de l'attention. Elle réfléchit un instant à l’alléchante proposition d'un bon repas. Une large expression entendue s'afficha sur ses lèvres.

« Pourquoi pas après tout ! » s’exclama-elle toute enjouée.

Elle tourna sa tête en arrière, se rendant compte que l'endroit n'était pas le plus adapter pour faire la cuisine. Elle glissa ses doigts dans sa poche tout en faisant tinter son contenu. Il fallait qu'elle aillent autre part. Comme les cuisines par exemple.

« Je te laisse choisir le plat ; par contre tu préfères rester ici ou tu voudrais qu'on aille dans mon appartement ? »

Pour toute réaction, la chef sauta sur sa nouvelle camarade.

« J'ai pas vu de repas aussi appétissant depuis longtemps. »

Céleste ria, puis se jeta sur son canapé. Elle invita Su à faire comme chez elle avant de s'approcher du plat l'air envieux. Depuis qu'elle était chef de son propre clan, elle n'avait probablement mangé que rarement des mets d'aussi bonne qualité.

« Bon appétit ~ »

Elle planta sa fourchette dans le plat puis commença à manger. Une fois qu'il fut en partie dans son estomac, elle porta son attention sur la cuisinière en agitant sa fourchette. Puisqu'elle avait la bouche pleine, elle se contenta de gestes qui signifiaient "sert toi aussi une assiette, je me sentirais mal à manger toute seule".

Céleste s'accouda à son canapé. Elle secoua la tête en guise de réponse tandis qu'elle mangea la dernière bouchée du plat. Elle avait vécu dans une environnement luxueux avant de vivre dans la rue, raison pour laquelle la cuisine n'était pas son point fort.

« Je n'ai pas épluché la moindre patate jusqu'à présent » avoua la chef un souriant presque embêtée « alors cuisiner tu penses bien... »

Quand on y regardait de près, c'était presque hilarant de voir à quel point Su et elle étaient deux opposés, tant par le caractère que par les compétences que chacune d'elle maîtrisaient. Ce fut avec une mine satisfaite qu'elle ferma les yeux.

« Tu voudrais passer la nuit ici ? »