En reconnaissance.

Je m'avance le long des couloirs, observant ce nouvel environnement qui s'ouvre à moi. Ais-je vraiment envie de rester ici, entourée de tous ces inconnus ?
[i]Oui, bien sûr que oui. Tu es prête a tout pour ressentir ces palpitations dans ta poitrine, tu te souviens ? [i/]
Comment pourrais-je oublier... C'est cette sensation qui me guide, qui mène mes pas vers ma vengeance. De plus, ces inconnus -à qui je n'ai encore jamais adressé la parole- sont sûrement emplis de la même rage que celle qui me fait vivre. Quelque part, je peux... Leur faire confiance ? Mh.. Disons que je peux essayer d'être agréable avec eux au moins, malgré mon inexpérience en rapport humains.
Seul le bruit léger de mes bottes sur le sol résonne en ces lieux. L'air est glacial, les murs sont froids et semblent vouloir m'emprisonner en leur sein. Ma respiration est lente mais régulière alors que j'observe attentivement ce qui m'entoure.
J'arrive à une salle assez spacieuse qui me semble être une sorte de self-service. Il n'y a pas grand monde et je m'en réjouit, je n'ai pas l'habitude du bruit et de l'agitation. Il y a cependant un bruit de fond qui grésille à mes oreilles mais je l'oublie vite et use de ma concentration pour me plonger dans mon esprit. Tout aussi doucement et sans bruit, j'attrape une pomme rouge et bien mûre, et cherche du coin de l'oeil un endroit où manger sereinement. Une jeune femme attire mon regard ; elle est seule avec un corbeau qui se love contre son épaule, comme une étreinte. Vêtue d'un kimono et équipée d'un long sabre, elle me paraît entourée d'une puissante énergie : tout ce mystère autour d'elle m'attire, ainsi que la couleur de ses longs cheveux. Je sais que la curiosité est un vilain défaut, mais malgré ça je m'avance vers elle et lui demande à voix basse si je peux m'assoir près d'elle. Ma voix semble rocailleuse, je n'ai pas l'habitude de parler beaucoup. Je l'observe avec discrétion, ne voulant pas l'indisposer.

Je m'assoie doucement après avoir également incliné ma tête, puis je garde mon regard fixé sur la dénommée Eirin Takahashi. Elle semble nerveuse, jette des regards tout autour d'elle alors qu'elle me parle. Je l'écoute attentivement sans la couper, je sais reconnaître des personnes intelligentes lorsque j'en rencontre, or cette femme est très intelligente, et observatrice, terriblement observatrice. Ses yeux n'ont aucune accroche, ils vont d'un endroit à un autre sans interruption, et je ne peux discerner ce qu'elle cache dans ces pupilles mystérieuses. Lorsque ses lèvres se scellent, je sais qu'elle a fini et j'esquisse un petit sourire -qui, j'espère, n'est ni arrogant, ni mauvais.

- Oui c'est ça, Thenys Aelio. Enchantée de de vous rencontrer, Eirin Takahashi. Je suis sûre que peu importe où nous sommes, nous serons en sécurité avec des gens comme vous. Et de toute évidence, vous ne voudrez pas nous laisser seuls, nous les jeunes recrues.

Karasu me dévisage en tournant sa petite tête dans tous les sens, il se penche et plonge ses petits yeux noirs telles deux billes dans les miens. Il semble particulièrement intelligent comme animal, à l'effigie de sa partenaire si je puis dire.

- Si ça ne vous dérange pas, ce serait utile. Excusez moi par avance, je n'ai pas beaucoup eu de rapport humain depuis quelques années. Malgré mon corps d'enfant, mon cerveau agit avec une maturité étonnante, sûrement dû au traumatisme vécu dans mon enfance, mais passons, c'est de la moindre importance. Ce dénommé Ayden est le chef, vrai ? Je ne l'ai jamais vu. Il doit être assez occupé je suppose, ce n'est pas rien d'être chef de clan.

Encore une fois je me surprends à délivrer mes pensées à voix haute. C'est quelque chose qui m'arrive de plus en plus fréquemment mais il faudrait que je règle ce problème au plus vite si je commence a me dévoiler devant le monde extérieur... Je détourne mon regard d'Eirin et Karasu et me fixe sur autre chose rapidement. J'ai toujours le fruit entre les mains, il paraît si juteux... Je tourne la pomme entre mes doigts lentement, observant attentivement les couleurs flamboyantes de ce beau fruit. C'est incroyable comme mon attention se fixe sur des détails aussi minces lorsque je me sens opressée.

Je finit par croquer dedans avec réserve, la marque de mes dents s'imprime dans la peau tendre du fruit alors qu'une goutte de jus glisse sur la peau lentement. J'observe sa longue descente avec attention. Toujours focalisée sur les choses futiles lorsque je ne suis pas en action... Il va vraiment falloir que je trouve quelque chose d'excitant à faire, un combat, une chasse, quelque chose qui bouge... J'espère que cet Ayden me fera bouger bientôt.

Eirin écoutait chaque mot qui sortait de la bouche de la jeune fille. Elle était intelligente et mature, la jeune femme devait avouer que c'était agréable d'avoir un semblant de conversation avec une personne éveillée. Elle la regarda croquer dans sa pomme, gardant tout de même un œil sur les hommes du réfectoire.

Elle décida alors qu'il valait mieux pas s'attarder en leur compagnie et donc elle allait faire office de guide à Thenys dans le bâtiment.

- Tu veux que je te fasse visiter les lieux?

Elle avait posé sa main sur la garde de son arme tout en la fixant avec une bienveillance masquée par son masque froid.

- Moi-même je ne le vois que très rarement mais il a tendance à toujours rencontrer ses recrues et c'est à ce moment là qu'il te donnera comme une sorte de rôle. Alors ne t'en fais pas, tu le rencontreras bientôt.

Karasu vint se poser sur l'épaule de l'interlocutrice pour piquer la pomme de son bec, il appréciait les fruits.

- Avec plaisir. J'ai hâte de bouger un peu, ce bruit incessant devient agaçant n'est ce pas ?

Le corbeau se pose sur moi et commence à manger dans mon fruit. Je le regarde d'abord avec colère, mais son air innocent et sa joie non dissimulée finit par me faire sourire. De toute façon je n'avait pas faim, c'était seulement de la gourmandise. Lui a l'air de se régaler en tout cas.

Je détourne mon regard de l'animal pour sourire à mon interlocutrice. Elle a un visage froid, en accord avec sa voix mais contradictoire avec ses propos. Si je n'étais pas habituée à lire entre les lignes je ne verrai qu'un intérêt purement administratif mais ce ne peux pas être ça, cette femme est suffisamment intelligente et belle pour grimper les échelons autrement. Non, elle s'inquiète sûrement, elle doit avoir des gens importants pour elle ou... Serait-ce ça, l'instinct de maternel ? Je n'en ai aucune idée. Ça n'a pas d'importance après tout, ce qui compte c'est qu'elle est assez aimable avec moi. Les gens ne prennent pas assez de temps pour connaître les autres, ils se fient à leur vue et oublient le plus important : leur raison. Ce n'est pas parce que je vit dans un corps d'enfant que je pense comme tel.

Elle a la main sur la garde de son sabre. Le fourreau est très élégant, ouvragé avec soin. Instinctivement l'esquisse un geste vers mon poignard fétiche, mais je me retiens au dernier moment. Je suis en sécurité avec Eirin, c'est sûr. Je décide de la suivre, et rencontrer Que en, le grand chef.

- C'est parti... Soufflais-je.

Eirin acquiesça et se dirigea hors du réfectoire avec la jeune fille, lançant au passage un regard froid aux hommes qui faisaient un vacarme épouvantable à eux trois.

- Je vais commencer par te présenter les pièces communes et après j'irai te présenter les différents appartements de personnes dont tu pourrais avoir besoin. Je ne vais pas te faire visiter l'extérieur.

Elle jeta un coup d'œil par dessus son épaule pour regarder derrière elles. Karasu était toujours sur l'épaule de Thenys, ravi d'avoir mangé une pomme bien juteuse.

- Par là il y a une bibliothèque, enfin quelque chose qui y ressemble. Honnêtement je ne sais pas ce qu'on peut y trouver comme sorte de livre.

Elle présenta ainsi la plupart des pièces qui lui semblait utiles, lui apportant toutes les informations qui pourraient lui être nécessaires.

- Pour les appartements, je pense que tu sais où ils se trouvent mais je vais te montrer celui d'Ayden, de Nathan, notre médecin et le mien. Si tu as la moindre question n'hésite pas à venir me voir, d'accord?

Elle s'était retournée et la fixait droit dans les yeux. Elle attendait qu'elle assimile toutes les informations précédentes avant de lui indiquer les multiples appartements.

Je ne pipait mot alors qu'Eirin me faisait sa petite visite guidée. Mh, je pense vite aller faire un tour du côté de la bibliothèque, il y a toujours des choses intéressantes dans les livres et personne ne pense jamais à les consulter. Pourtant, il y a tellement de réponses cachées dans les lignes et les pages, tellement d'astuces et de plans à élaborer avec l'aide de ces illustres auteurs...

Concentres-toi, Thenys, fixe tes pensées sur sa voix.  Une voix ferme, lisse, froide, terne. Une voix de femme qui ne souhaite plus être blessée. Elle te comprendrait tu sais, si tu osais faire confiance Pas question. Faut pas abuser non plus, je peux être aimable mais faire confiance... Il faudrait plus que quelques minutes passées en sa compagnie pour que je puisse faire confiance à quelqu'un. Et puis, j'ai Rei.

Rei est mort.

Je serre les dents, contractant ma mâchoire, tout en essayant de ne rien laisser paraître. Fermes-là, tu veux ? Mon attention se focalisa sur elle quand elle parla des appartements. Ah, enfin. Soudainement, je me rends compte que tout au long de mes pensées, je caressait Karasu distraitement, comme un automatisme. Qu'est ce qu'il me prends ? Ce n'est pas mon animal, et puis même si ça l'était, je ne suis pas du genre à être affectueuse, si ? Avec Rei, si. Oh, pour la dernière fois, fermes là.

- Pas de problèmes.

Je me force à esquisser un sourire, histoire de ne pas trop paraître agressive, ce n'est pas dans mon attention. Je suis naturellement sombre, mais je préfère être un peu plus chaleureuse envers les personnes qui pourront m'être utiles pour ma vengeance. J'hochai la tête légèrement et je la laissai lire dans mon regard. J'avoue que me laisser fixer comme cela n'est pas dans mes habitudes, mais ça peut sans doute la mettre en confiance.

- Bon, je vais enfin voir ce fameux Ayden. Ça va être intéressant.

Je referme mon esprit soigneusement, histoire qu'elle ne lise pas trop non plus. C'est toujours mieux de garder un peu de mystère lorsqu'on lit un livre, de ne pas regarder directement la fin, c'est d'un ennui... Je me prépare mentalement à voir le chef, en espérant qu'il me fasse bouger d'ici. J'en ai marre de rester sans rien faire, je veux de l'action, je veux du sang et de la violence, je veux du danger.

Eirin ne pensait pas grand chose, se contentant de faire ce qu'il fallait faire. Elle ne cherchait pas à lire au travers de la jeune fille, elle n'était pas son ennemie et elle avait trop à penser.

- Oui il me semble qu'il est là aujourd'hui.

Elle fixa à nouveau Thenys avec une bienveillance incisible. Un visage impassible. La jeune fille était beaucoup plus mature et beaucoup plus intelligente que les autres de son âge.

La souffrance, un choc, a tendance à faire grandir l'esprit plus vite que le corps, et elle en savait quelque chose.

La jeune femme toqua à la porte de son supérieur avec assurance.

- C'est Eirin. Je viens vous présenter notre nouvelle recrue. Et elle attendit.

La chambre d'Ayden était de loin la plus spacieuse. Elle était certes plus petite que celle de ses recrues, mais il vivait seul, aussi, il avait plus de place. Là où les autres chambres possédaient un salon, il avait aménagé un bureau. Il avait posé des rideaux épais aux fenêtres, essayant tant bien que mal de retrouver l'ambiance de son ancien QG. Il y faisait sombre, presque aucune lumière ne filtrait, à part quelque rayons de soleil, et le tout était éclairé par des bougies. On aurait pu croire qu'il avait retenu la leçon, mais non : il continuait de s'éclairer à la bougie. Cependant, désormais, il faisait attention. La pièce centrale qui faisait donc office de bureau était très simple : il avait posé un tapis poussiéreux sur le sol moquetté, ce qui était d'une inutilité consternante, mais qui lui rappelait son ancien bureau. Un meuble en bois clair trônait au centre de la pièce, lui permettant de classer ses dossiers, sa paperasse.

Sur le côté gauche, une porte donnait sur sa chambre, froide, impersonnelle, dont les draps blancs étaient immaculés et propres, surmontés d'une couverture bleue d'un aspect matelassé. En vérité, il n'y dormait jamais. Les nuits qu'il passait au QG étaient des nuits de travail, et quand il se reposait, c'était soit assit devant son bureau, soit dans le canapé pourpre collé au mur de droite de sa pièce centrale.

De l'autre côté du bureau, sa porte de droite menait à sa salle de bain. Ce n'était, en soi, pas très pratique d'avoir la chambre et la salle de bain ainsi séparées par une pièce, mais il s'en fichait. La plupart du temps, il se lavait dans ses diverses planques. La salle de bain avait un aspect très moderne, avec une grande baignoire qui avaient de nombreuses options. Le lavabo était en marbre, surplombé d'un miroir qui touchait presque le plafond, sur le mur en face de la porte, quand la baignoire était à gauche, devant une grande fenêtre aux vitres teintées mais qui donnait sur une vue fantastique de la ville.

Mais cet appartement en apparence idyllique ne voyait que très rarement son résident, en dehors des journées. Ce dernier passait ses nuits dehors, à travers toute la ville, et dormait dans ses planques diverses et variées. Il dormait rarement deux nuits au même endroit. Il avait une vie de fugitif, même si les forces de l'ordre ne le recherchaient plus depuis des années. Les clans avaient totalement pris le dessus sur le gouvernement. Ayden n'arrivait même pas à savoir si c'était bien ou non.

Il était entrain de faire ses comptes lorsqu'un bruit le fit relever la tête : on toquait à sa porte. Il écouta d'une oreille distraite sa subordonnée lui annoncer la venue d'une nouvelle recrue. Encore. Il passa une main dans ses cheveux et dis d'une voix calme et posée :

- Un instant.

Il remit alors en place son bandage, qu'il avait ôté, car ce dernier le gênait souvent, surtout lorsqu'il fallait qu'il se concentre. Il remit aussi ses cheveux devant ; il n'avait pas envie de faire mauvaise impression. Il inspira fortement, se donnant contenance. La première impression était souvent celle qui restait gravée dans les esprit, et il s'assurait de toujours imposer le respect à ses nouvelles recrues.

Puis, il se leva et alla ouvrir la porte, dardant son regard émeraude sur Eirin et la jeune fille qui l'accompagnait, les surplombant de sa grande taille. Son regard perçant la détailla de bas en haut.

- Entrez.

Dit-il, de sa voix forte et grave, avant de faire un mouvement de main pour les inviter à s'asseoir sur les sièges devant son bureau. Une fois qu'elles furent entrées, il referma la porte et alla prendre place derrière son bureau, toujours debout.

- Quel est ton nom, jeune fille ?

Il lui ferait son discours de bienvenue plus tard. Il avait d'abord envie d'entendre ce qu'elle avait à lui dire.

Je suivit Eirin dans les appartements de mon chef. Contrairement à beaucoup d'autres, il a décoré l'intérieur avec goût, donnant une sorte d'ambiance chaleureuse à la pièce. Je détaillai rapidement cet environnement nouveau et reportai mon attention sur Ayden Blacksun, qui venait de me poser une question. Sa voix grave était lisse et sans imperfection, au contraire de son apparence : malgré des vêtements choisis avec classe, son visage ne cessait de rappeler à quel point il était détruit par la vie ; Enfin, pour quelqu'un qui sait regarder et réfléchir. Mais ça ne me dérangeait pas, j'imagine que je dois avoir des cicatrices similaires au fond des yeux.

- Thenys Aelio, enchantée.

Je penche légèrement la tête sur le côté et esquisse l'ombre d'un sourire.

- Vous êtes bien Ayden Blacksun n'est ce pas ? On ne pourrait se tromper. Autant de prestance et de charisme sur un corps aussi mutilé ne conviendrait à personne d'autre.

Je suis peut-être un peu osée, mais je suis comme ça. Il m'arrive très souvent de révéler à voix haute ce que je pense, mais cette fois ça ne me dérange pas. Ayden Blacksun est mon chef de clan : si je lui cache qui je suis réellement c'est idiot. De toute façon, je suis bien ici pour une raison, alors j'imagine que mon caractère ne doit pas déranger tant que ça.

Eirin fixa son supérieur et ne le lâcha pas du regard. Elle ne jeta aucun coup d'œil indiscret à l'intérieur, sauf pour analyser les différentes issues possibles. Il leur présenta les sièges mais la jeune femme refusa de s'y asseoir, préférant rester debout, prête à réagir au quart de tour, la main sur le pommeau de son sabre.

Elle ne savait pas si elle devait partir ou rester, mais depuis qu'elle était ici, elle était à cran, alors elle refusait de les laisser sans surveillance. Qui sait ce qui pouvait arriver.

Elle n'écoutait pas leur conversation puisque cela ne la regardait pas, son rôle consistait à prévoir, prévenir et protéger. Se mêler des affaires de son supérieur et de ce genre de choses, cela ne rentrait pas dans ses cordes.