Le goût de mes larmes

Ce jour là, ou plus exactement cette nuit-ci, ne différait en rien des soirées s'étant écoulées depuis quelques semaines pour la jeune demoiselle. Elle qui affectionnait tant les sorties nocturnes ne pouvait plus qu'admirer la lumière sombre du soir à travers sa baie vitrer et rêver que le temps se réchauffe ne serait-ce qu'un peu pour pouvoir retourner baigner ses membres dans une chaude brise nocturne.

C'était là de son seul plaisir que dame nature la privait.

Soupirant longuement, elle s'emmitoufla dans son large gilet gris, cherchant à emmagasiner le plus de chaleur possible au creux de sa poitrine. La lumière n'était pas allumée, ainsi personne n'aurait pu soupçonner Céleste d'être encore à l'intérieur de son bureau à une heure aussi tardive. L'idée d'être seule dans cet endroit lui arracha un frisson de plaisir. Elle adorait cette sensation de solitude grandiose et grisante.

Un bruit vint cependant, couper court à son euphorie solitaire.

Une clé insérée dans une serrure.

Rapidement, elle saisit un petit calibre traînant sur son bureau, restant silencieuse.

Ce fut non sans surprise qu'elle vit se dessiner une silhouette familière sur le seuil de la porte. La lumière du soir découpait des formes régulières qu'elle ne connaissait que trop bien. Son cœur rata un battement. Sans doute plus par surprise que par tout autre sentiment.

Que faisait-il ici ?

La nuit ne lui permit pas de distinguer tout de suite le ruissellement anormale d'un flot douloureux sur le visage du garçon. Jugeant cependant son rival, son ami, son... Cette personne qu'elle avait si longtemps détaillé du regard, elle baissa légèrement son arme sans pour autant s'en défaire complètement.

« Ayden ?»

Quand bien même Ayden avait toujours eu tendance à passer d'un grand dangereux à un adorable enfant apeuré, Céleste ne s'était jamais habituée à ses deux facettes de sa personnalité radicalement opposées, et surtout, à jongler entre les deux. Surprise, elle manqua de trébucher et par dessus le marcher de faire tomber son arme. Elle se reprit bien rapidement et changea son calibre de main.

Que faire dans une telle situation ?

Céleste remonta une main hésitante vers sa tignasse et le caressa doucement pour le rassurer. Le voir pleurer n'était pas commun.

« Hey, ça va aller... Qu'est-ce qu'il y a ?»

Elle avait murmuré ces mots à son oreille comme une mère voulant réconforter son enfant. Voir Ayden dans un tel état, qu'importe ce qu'il avait pu se passer auparavant, lui serrait le cœur de peine.

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Le jeune homme n'avait pas besoin de continuer pour que Céleste comprenne où il voulait en venir. Lui et Keith. Elle n'était pas naïve, peut-être un peu innocente parfois, mais pas au point de ne pas saisir où son ancien allié voulait en venir.

« Vous avez couché ensemble.»

Ces mots sortirent de sa bouche sans trembler, à son propre étonnement. Ils sonnaient par ailleurs comme une affirmation, ce qui était de toute évidence le cas, et pas comme une interrogation. De toute façon, elle était déjà au courant. Ce n'était pas comme si elle n'avait pas déjà été mise au courant de leur relation devenue... Plus qu'intime.

Elle croisa ses bras en tenant ses coudes par ses mains. Position de protection par excellence.

« Pourquoi est-ce que tu es dans un tel état ?»

Sa voix ne tremblait pas, non. Bien évidemment. Elle ne se brisait pas.

Ce n'était pas comme s'il n'était pas déjà blessé.

La jeune fille secoua sa tête lourdement. Subitement, elle se sentait engourdie.

« Calme-toi. »

Avec lenteur, elle s'approcha d'Ayden. Ses mains frêles tentèrent de se frayer un chemin vers le jeune homme. Ce sentiment misérable d'impuissance qui bouillonnait dans ses veines la vidait de ses forces et rendait sa peau déjà laiteuse étrangement froide et anormalement pâle. Que pouvait-elle faire ? Ce qui s'était passé entre ses deux amis, ce qu'ils avaient fait ensemble, comment pouvait-elle trouver les mots pour l'expliquer ou pour réconforter Ayden alors qu'elle même ne savait pas comment calmer ses propres troubles... Céleste se sentait incapable de l'aider.

Elle s'en sentait incapable, oui, et pourtant.

« Respire, lui dit-elle, et pose-toi un instant. Ca va aller, d'accord ? »

Céleste sourit doucement. Rien ne servait de laisser ce poids qui sévissait au creux de son estomac prendre le contrôle de son être.

Cet inattendu contact ne la fit par sursauter. Contrairement au sentiment qui faisait toujours tambouriner son cœur durant ces instants, ce fut cette fois une chaleur familière et envoûtante qui se propagea dans son corps alors à la limite de la tiédeur. Depuis combien de temps n'avait-elle pas senti Ayden aussi proche d'elle ? Sans doute assez longtemps pour que ce contact la rassure égoïstement tandis que son ami était foudroyé par l'accablement. Aucun de ses membres ne fit le moindre mouvement par crainte de briser cette délicate étreinte.

« Ne t'excuse pas.»

Céleste déglutit. Percevoir son théorique ennemi à ses cotés lui donnait la sensation d'avoir retrouver la famille qu'elle avait perdu. Jamais n'aurait-elle du être égarée à cause de futiles disputes, par ailleurs. Ayden ne lui appartenait de toute évidence pas, rien ne servait de se détruire en le regardant s'éloigner de toute façon. Savoir qu'elle conservait une place privilégiée dans son cœur était amplement suffisant.

Un sourire paisible se dessina sur son visage. Ses muscles se détendirent tandis qu'elle s'éloigna finalement des bras d'Ayden.

« On en a vu d'autre. Ne te sens pas coupable pour de ce qui est arrivé. Keith et toi, si c'est ce qui te rend heureux, alors tout ira bien, sois-en certain. »

Céleste s'élança vers lui et repoussa son arme du bout des doigts.

« Arrête s'il te plait ! »

Son gilet lui tomba des épaules pour se loger dans le creux de ses bras. Son corps réchauffé précédemment redevint aussi froid qu'avant la venue du jeune homme. Voire plus glacé encore. Elle tenta de plonger son regard grisé dans son unique œil d'Ayden pour le faire revenir à la raison.

« Tu n'es pas heureux... Mais est-ce que c'est parce que tu ne le veux pas ? Le bonheur c'est avant tout accepter de ne pas être brisé constamment et... En te considérant comme tu le fais tu t'empêches d'être heureux ! Tu le mérites Ayden... »

Sa voix se fondit dans un murmure.

« Toi aussi tu peux être heureux. »

Sur le coup de l'impulsion, Céleste fit quelque chose de totalement idiot. Complètement insensé plus exactement. Mélangé à de la colère, sa peine la fit agir sans qu'elle eu le temps de s'en rendre compte. De cette façon, sa main se retrouva collée à la joue d'Ayden dans un claquement à la sonorité grandiose, qui retentit dans la pièce entière, et ce avant de retomber dans un silence complet.

« Que... Excuse-moi, ma main à bouger toute seule, marmonna-elle pour se justifier, et je n'ai pas réfléchi. »

Lentement, elle rapprocha sa main d'elle et, fébrilement, massa la partie qui était entrée en contact avec son ancien camarade.

« C'est que t'entendre dire ça me rend dingue. Parce que c'est en refusant ton bonheur que tu nous touches. Pas en voulant rester près de nous. On tient à toi... Sinon on ne s'acharnerait pas à vouloir rester à tes cotés. »

Ses yeux fixèrent ses ongles.

« Ne l'oublie pas. »