Ô, douce vengeance...

Il est tard, aux alentours de une heure du matin, peut-être. Je ne sais pas trop. J'ai perdu la notion du temps. Les fesses visées sur le tabouret du bar, je vois simplement ma bière. Je ne suis pas allé plus loin que de la bière ce soir, fait suffisamment étrange pour que je prenne la peine de le mentionner. Mes yeux bleus scrutent le miroir qui reflète toute la pièce, et mes oreilles écoutent attentivement.

Cela fait plusieurs semaines que je le traque, et ce soir, c'est le soir.

Je l'ai retrouvé. Je l'ai localisé. J'ai mon plan. Mes doigts se serrent sur la poignée de mon couteau, dans ma poche.

Il se lève, se dirige vers la sortie. Il tangue. Il est complètement bourré. Tant mieux, ça m'arrange.

Je me lève à mon tour et vais vers la sortie. Je le suis. Il a décidé de prendre une petite ruelle. Quelle inconscient.

Je ne cherche même pas à lui adresser la parole. Je ne lui ferais pas cet honneur. Je veux seulement qu'il voit le visage de celui qu'il a détruit le tuer.

Silencieux comme un chat, je lui fait un croche-patte. Il s'étale de tout son long sur le sol. Je le force à se retourner en plaçant mon couteau sur la gorge.

Il geint, me supplie de l'épargner. Mes yeux se durcissent et je laisse simplement la lame affûtée glisser contre sa carotide qui explose en une gerbe de sang qui vient imbiber ma chemise.

Je le regarde suffoquer, froid, détaché.

Il n'y a plus que moi dans cette ruelle, moi et le cadavre de l'homme qui a fait de moi un meurtrier. Mais je n'ai aucun regret.

Je me tiens, debout, dans le noir, ma chemise blanche désormais pourpre, avec une lueur de folie dans le regard.

Plus que deux.

Le froid me glace le sang. Ruelle de merde, jour de merde, soirée de merde, temps de merde.

Vie de merde ?

Aucune idée. Tout ce que je fais, c'est me balader. Sans but. L'esprit vide, sans idées, à part le fait que ce soit réellement un soirée de merde.
Je m'assois sur un banc, regarde les gens passer. Toute l'idée de ma soirée résumée en une seule action. Sérieux, c'est tout ce que j'ai à dire à quiconque m'écoute. Qui m'écoute ? Moi ? Nyx ? Aucune idée, je suis tarée.

Le suis-je réellement ?

Mon esprit est traversé par des milliers de questions qui n'auront jamais leurs réponses. Ou sûrement.

Parmi ces questions, une récurrente : Qu'est-ce que je fous là ? Et où est Keenan ?

Oui, bizarrement, Keenan utilise une bonne partie de mes pensées. On est sensés être ensemble, déjà, mais surtout, je l'ai pas vu depuis très longtemps.

Où est-il ? Que fait-il ? Réussit-il sa mission de buter le monde ?
Sûrement.

De l'agitation dans le coin. Je suis trop occupée sur les vibrations. Je ressens les vibrations, grâce au sérum. C'est cool ce truc quand même, parfois.

Des hommes qui titubent, des bruits, partout des bruits.
Des cris de détresse...

C'est une grande ville après tout, qu'est-ce que j'en ai à faire ?
Juste, rester assise.

... Au moins, le point positif, c'est cette chemise.
J'aime bien.
Le blanc.

Je sors de la ruelle, et je marche dans les rues.

Ma chemise est couverte de sang, mais je n'en ai rien à faire. C'est monnaie courante, par ici, et personne ne vas appeler la police. Au contraire, ils ont peur de moi, peur de ce que je pourrais leur faire, et je m'en délecte.

La jeune fille innocente qui a débarqué à Heaven a depuis longtemps disparu. Je me demande même si je la reverrai un jour. Je ne pense pas.

Je ne fais pas vraiment attention à où je mets les pieds. Je veux seulement rentrer et me laver. Avoir une substance de cette ordure sur moi me rappelle trop de mauvaises choses, même si cette fois, c'est rouge et non blanc.

Comme je ne regarde pas ou je vais, je ne vois pas la jeune fille qui marche dans l'autre sens.

Boum, nous voilà tout les deux par terre. 

Je relève les yeux lentement.

C'est Solène.

Wait... Solène ?! J'écarquille les paupières. Ca faisait si longtemps...

Deux personnes, une rencontre abrupte.
Du sang sur la chemise.

Du sang.
Du sang.
Du sang.

Je n'aime pas le sang. Pas du tout le sang.
De vieilles peurs commencent à ressortir.
Le sang ?
DU SANG

Evidemment, je hurles, comme quelqu'un qui a peur. Parce que j'ai peur. J'ai beaucoup peur

De l'aide ?

Je panique. Je ne suis pas sûr qu'elle m'aie reconnu.

Je m'approche d'elle et pose mes paumes sur ses épaules, pour la rassurer.

- Eh, Solène, calme toi, tout vas bien, c'est moi, c'est juste moi...

Je ne suis vraiment pas doué pour trouver mes mots, hein ?

Je me contente de la regarder simplement, en me mordant la lèvre, ne sachant que faire.

- Je suis là, ça va aller, ce n'est rien...

J'essaie de la réconforter.

Mais d'un autre côté, mon regard est fuyant. J'ai un peu honte de moi, honte de l'avoir évitée ces derniers mois. Je suis pathétique, uh ?

Une voix m'enlève de cette panique.
Une voix familière.

Keenan ?

Le vision se reconcentre, arrête d'être flou.

Keenan.

Je suis traversée entre de la satisfaction, de la panique et de la haine. Aussi un peu de joie. Sûrement beaucoup de joie.

"What kept you so long ?"

S'il a pas la référence, c'est pas grave.

"Si tu m'enlèves pas cette chemise rapidement, j't'assure, je vais pas vraiment aller bien."